Jcf tente une comparaison entre les trois oeuvres
Quelques réflexions sur des livres dont les auteurs sont originaires de Corrèze et de la Creuse.
Il s'agit de "Miette", par Pierre Bergounioux, de "Vies minuscules", par Pierre Michon, et de plusieurs livres de Richard Millet appartenant à son cycle "Correzien" : "Ma vie parmi les ombres", "Lauve le pur", "l'amour des soeurs Piale", "la gloire des Pythres".
JPD (Daudé) m'avait fait découvrir Bergounioux à propos de Millet, que j'apprécie beaucoup et que je lui signalais dans un des nos échanges sur le net. Je crois que JPD a un avis beaucoup plus mitigé que moi sur ces deux auteurs. Peut-être consentira-t-il à nous faire part de son regard de Correzien autorisé (pas au sens de Coluche !! vous savez :"Ils pourraient s'autroriser à fermer leur gueule....") sur la question.
Apparemment les trois compères se connaissent bien, mais n'appartiennent pas à une "école" ou à un mouvement littéraire plus ou moins provincial, comme l'école dite "de Brive", qui, elle, est considérée - je ne sais si c'est à juste titre n'ayant jamais lu aucun des auteurs en question et je m'autoriserai donc à fermer ma gueule sur ce sujet - comme plutôt "provincialiste" dans le mauvais sens du terme.
Bergounioux est né à Brive, mais comme Millet, est rapidement monté à Paris Il est prof de lettres modernes et sculpteur... Millet gagne sa vie de ses romans et de son travail chez Gallimard. C'est lui qui a conseillé à Gallimard de publier les bienveillantes, alors que le futur Goncourt avait été refusé par plusieurs maisons d'édition et qu'il n'avait lu que les 300 premières pages du livre. Quelqu'un qui a un tel flair de lecteur ne peut pas être totalement nul......
Millet est plutôt conservateur, passéiste, voire carrément réac diront certains (et ceux-là seraient injustes de le considérer comme tel à mon avis. Conservateur certainement, réac non...) Bergounioux à été au PCF, est toujours disons.... plutôt progressiste je crois.
Michon fut Mao.
Mais cela a-t-il vraiment de l'importance pour juger de la qualité d'une oeuvre ?
Michon, lui, est originaire de la Creuse, des Cards exactement (tu connais Achille ? Où c'est ksé ???), a fait des études à Clermont, a appartenu à une communauté théâtrale, avant de sombrer dans l'alcoolisme, puis de se quasi clochardiser, selon ses propres dires. Ma compagne l'a connu lorsqu'elle était étudiante à Clermont......... Elle s'en souvient comme d'un garçon torturé, complexé, conscient du manque d'attraction qu'il exerçait sur les femmes......
Il vit à côté d'Orléans, très solitaire, dans un appartement très petit... Certains le situent à Nantes, où il s'est installé pour être près de sa fille...
En tout cas, les trois compères partagent tous la même nostalgie d'une certaine époque pas si lointaine et pourtant à jamais révolue et de ce qu'ils dépeignent, peut-être improprement, comme une "culture" ou une "civilisation" paysanne inscrite dans une géographie assez précise, d'un mode de vie.. le tout disparu (toujours selon eux...) en moins de trente ans, englouti par les vagues modernistes des trente glorieuses, ... Bergounioux fait remonter ce début de la fin à plus tôt, et le dit admirablement à propos des bouleversements sociaux et économiques qui allaient causer la première guerre mondiale: "C'est 1910. Le temps monte des plaines. Il s'insinue dans les vallons, gravit les pentes comme un ruisseau remontant à la source, l'éveillant. Il infiltre l'arène pâle, esquisse les lointains. La guerre précipite son cours...."
Ce qui m'interpelle à la lecture des ces trois écrivains, c'est :
- la proximité du style, de la phrase : Une syntaxe très .... oui, ,n'ayons pas peur des mots...... Proustienne en fait, tentant de rendre je crois- ,peut-être maladroitement, mais je ne le pense pas - par ses détours, ses circonvolutions, l'immobilité ou plutôt la "circularité" de la société dont ils parlent, de la civilisation paysanne de cette partie de la France avant une certaine entrée dans le temps linéaire de l'histoire, processus qui s'est accéléré, après la deuxième guerre mondiale et qui est bien rendu, je crois dans les trois oeuvres différentes.
- La disparition programmée,mais survenue dans les dernières décennies seulement, de cette "civilisation", perdue désormais selon eux, qui était ancrée dans le temps cyclique, répétitif de la vie des petites gens des hauteurs de la Marche et du plateau de Millevaches, qui était chevillée dans les gestes et attitudes - voire dans des types humains chez Bergounioux, pourtant non soupçonnable de sympathie pour des thèses neo-racistes - immémoriaux, se dupliquant à l'identique, depuis toujours, ce thème étant présent de manière quasi obsessionnelle, chez les trois auteurs.
- Le fait que les trois écrivains tentent, à leur manière souvent assez semblable, de rendre compte de la difficulté qu'ont les êtres nés dans ces "hauts" inhospitaliers, mêmes ceux qui ont fait des études, à s'arracher à la tourbe, au milieu confiné de leur naissance, qui condamne les hommes (et surtout les femmes...) à inscrire leur vie dans le rayon limité du hameau qui les a vus naître, ou à y retourner inexorablement quand même, après leurs aventures, leurs études ou à la fin de leur vie, comme la plupart des personnages principaux, qui ne peuvent s'arracher à leur terre, ne serait-ce que par la pensée. On peut avoir l'impression, en lisant ces oeuvres parallèles, que le granit et la lande de ces contrées austères, génèrent, allez lançons-nous... un certain style des hauteurs modestes, arides et sombres - pas les sommets de la chaîne des Puys, lumineux et majestueux , ceux que les protagonistes aperçoivent parfois au loin, et qui sont porteurs, eux, au contraire des plateaux limousins ou creusois, d'un espoir d'échapper au cercle étroit dans lequel s'inscrit leur petite vie - distillent (les hauteurs modestes et arides...) la même vision pessimiste du monde que chez les personnages (il faudrait dire parfois les ombres) peuplant leurs écrits. C'est un peu comme si le même regret nostalgique de huis-clos culturel, de cloaque familial et social étouffant, qui a pourtant opprimés les enfants et adolescents, les jeunes hommes et femmes qu'ils furent, hantait leurs souvenirs, suintait dans les détours méandreux (certains diront laborieux !) de leur écriture..
Certains personnages arrivent bien à fuir définitvement, mais cette extraction est toujours douloureuse, jamais vraiment bénéfique, soit pour eux, soit pour leur entourage, que ce soit la mère du narrateur récurrent de Millet, qui fait le malheur de son fils en allant vivre à la ville, en quittant le père et en abandonnant son petit à ses tantes, en le laissant pour toujours ressasser, sa rancoeur d'enfant mal aimé dans le cycle corrézien de Millet, que ce soit le personnage d' Adrien dans "Miette", qui va travailler à la RATP à Paris pendant quarante ans, mais qui revient finir ses jours au village, abandonné de sa femme, sans enfants, ou bien encore que ce soit le personnage de la première des nouvelles du recueil de Michon (André Dufourneau), qui part en Afrique, pour devenir quelqu'un, ne plus être un paysan, une ombre parmi d'autres ombres, ou faire fortune (comme Rimbaud, le modèle inaccessible de Michon. dont l'exil, pour ce dernier, ne se trouve pas à Aden mais bel et bien dans l'écriture même...), De Dufourneau, qui est une sorte de Rimbaud presque illettré, on dit au village qu'il a pu être tué par les noirs dont il exploitait la sueur pour devenir un monsieur.
- On retrouve également la même vision tragique de la destinée chez ces trois romanciers, la même que chez un Duneton, lui aussi corrézien (tiens tiens, un autre !!), dans ses romans (Le monument par exemple, sur la grande guerre..) et ce qu'il nous dit de manière plus explicite, dans des écrits plus biographiques ou pédagogiques, de sa condition d'enfant de paysan qui ne peut, malgré ses succès scolaires, se sentir en harmonie avec les citadins et les bourgeois, tous ceux qui parlaient le français à la maison, qu'il coitoiera ensuite dans sa vie d'adulte, de prof, d'écrivain...
Je me dis d'ailleurs qu'il serait peut-être intéressant d'aller voir du côté de Giraudoux (autre limousin...) si ces thèmes apparaissent déjà chez lui.
J'ai fait mon mémoire de fin de 4ème année d'école normale sur lui (mais sur son théâtre seulement) Je ne me souviens pas y avoir rencontré de telles problématiques. Mais cela n'est vraiment pas une référence, tant j'étais bête à l'époque et peu préoccupé de la disparition des modes de vie ruraux.............et de la nostalgie qui pouvait étreindre les "croûlants" à l'idée que leur monde disparaissait........
Bon enfin, assez bavassé jcf. J'espère seulement que vous pourrez partager avec moi un peu de l'émotion que j'ai à lire ces auteurs et que, (why not ?), nous puissions un jour en parler, que ce soit sur le net (on peut rêver...), sur notre site, ou de vive voix.............
Et puis je me dis aussi que nous venons tous (ou presque..) du massif central et que nous devons tous partager un peu les obsessions des ces romanciers, la nostalgie d'une époque, de lieux, d'une campagne... assez identiques, que nous avons connus au sortir de la guerre.